Depuis plus de quarante ans, sans doute à cause de l’appauvrissement par autodépréciation de l’expression artistique locale et par un mimétisme esthétique qui engendre des œuvres décalées par rapport à leur environnement culturel d’une part, et du contrôle des réseaux de distribution par les grandes entreprises dominantes qui laisse rarement à l’industrie culturelle locale non seulement l’occasion de se faire connaître mais de contribuer aussi à une diversification de l’offre d’autre part, les artistes camerounais, dans leur grande majorité, et quelles que soient les filières auxquelles ils appartiennent, se sont négativement focalisés sur le droit d’auteur, objet des querelles et des haines de toutes sortes aujourd’hui. Et pourtant, le décalage entre la loi existante, son décret d’application (loi N° 2000/011 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux droits voisins du droit d’auteur et décret N° 2001/956/PM du 1er novembre 2001 fixant les modalités d’application de ladite loi) et leur non application est dû tant à l’ignorance de la législation en vigueur par les décideurs et les créateurs qu’au manque d’outils et de soutien public auxquels les sociétés de droit d’auteur sont confrontées. Toute chose qui freine le développement de la production artistique au Cameroun.
Cette situation, que j’ai pris le soin d’analyser, a retenu toute mon attention et mérite cette réflexion parce qu’elle met au jour une étonnante contradiction de la politique culturelle du Cameroun. La contradiction ? Comme je le dénonçais déjà dans une tribune libre publiée par le quotidien MUTATIONS dans son édition N° 1170 du lundi 14 juin 2004, tous ceux qui observent et dissèquent la politique culturelle du Cameroun sont certainement intrigués par l’incohérence des démarches et les bricolages politico-juridiques des sécurocrates d’un autre âge du ministère de la Culture : la violation récurrente de la législation en vigueur, le refus délibéré de renforcer les acquis pourtant réalisés par l’ex-ministre d’Etat en charge de la Culture, Son Excellence Ferdinand Léopold OYONO, et appréciés par le président de la République, l’absence de codification du droit de la culture, le manque de développement des moyens des sociétés de droit d’auteur à travers des perceptions accrues par l’intégration de leurs actions dans un système de sensibilisation des usagers, des professionnels et un partenariat avec les services de police et des douanes.
Le piratage, qui n’est pas en reste, ne peut que décourager les créateurs, les éditeurs et les producteurs des œuvres littéraires et artistiques à contribuer au développement du secteur de la culture. Il ne peut non plus attirer l’investissement étranger, encore moins permettre au public de profiter d’un large éventail d’œuvres. Autant de facteurs qui ont des effets néfastes et dévastateurs sur les plans économique, social et culturel du pays. Le marché de l’audiovisuel, pour ne prendre que cet exemple, est marqué par un piratage quasi systématique de nouveaux films. La vente illégale de décodeurs numériques et de paraboles détourne les spectateurs des salles de cinéma, du moins celles qui existent encore. Les bars improvisés en salles de projection vidéo prennent une ampleur particulière au point de paralyser la production nationale par la diminution des recettes fiscales. La vidéo-projection payante se développe ainsi dans le circuit informel et s’enracine dans les quartiers populaires. 90% des films sur ce marché sont piratés.
Par ailleurs, l’offre locale fait face à de faibles possibilités de financement à toutes les phases de la chaîne. L’accès limité au crédit touche particulièrement les entreprises culturelles qui exercent une activité relativement risquée. Les difficultés d’accès aux ressources nationales réduisent les marges de manœuvre des professionnels et limitent leur capacité à répondre aux demandes des marchés locaux et internationaux. Malgré le décret présidentiel N° 2001/389 du 5 décembre 2001 portant création d’un Compte d’affectation spéciale pour le soutien de la politique culturelle qui est un acte révolutionnaire dans le cadre de la subvention et du développement des industries culturelles au Cameroun, l’on ne manque pas de s’interroger sur la définition claire des critères et le suivi qui entourent l’octroi des fonds issus de ce Compte aux artistes.
Plus grave, les responsables du ministère de la Culture, qui ne sont pas pour autant prêts à faire preuve d’un tel sens de responsabilité, se sont toujours curieusement refusés, chose regrettable, de traduire toutes les dispositions de la loi N° 2000/011 du 19 décembre 2000 dans les faits. Une condition du succès du décret N° 2001/389 du 5 décembre 2001 serait pourtant qu’ils saisissent cette opportunité pour mettre en branle toutes les décisions d’approbation qui entrent dans le Compte d’affectation spéciale pour le soutien de la politique culturelle et qui doivent logiquement générer des milliards de FCFA. Ainsi en est-il par exemple des redevances dues au titre de la représentation ou de la fixation du folklore conformément aux dispositions de l’article 2 du décret N° 2001/956/PM du 1er novembre 2001 fixant les modalités d’application de la loi N° 2000/011 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux droits voisins du droit d’auteur d’une part, des modalités de versement de la taxe sur les spectacles au Compte d’affectation spéciale pour le soutien de la politique culturelle conformément aux dispositions de l’article 10 du décret susvisé d’autre part et de la rémunération pour copie privée du phonogramme et de vidéogramme conformément aux dispositions de l’article 13 du décret susvisé de troisième part.
De ce qui précède, il est largement reconnu que le président de la République, en signant le décret portant création du Compte d’affectation spéciale pour le soutien de la politique culturelle, se présentait comme un véritable visionnaire en jetant les bases structurelles des industries culturelles au Cameroun. Malheureusement, sept ans après, les conditions de l’épanouissement culturel et du développement humain dans notre pays ne sont toujours pas réunies.
Alors que nous sommes désormais à l’ère du numérique, alors que le chef de l’Etat, dans le décret N° 2001/389 du 5 décembre 2001, anticipait en faisant allusion à la copie privée numérique, notamment aux supports d’enregistrement amovibles, afin d’établir les montants applicables au support des matériels du type HI-FI intégrant les disques durs ou décodeurs enregistreurs, le Cameroun reste malheureusement à la traîne. Les dirigeants du ministère de la Culture doivent pourtant savoir que l’Histoire est tragique. Elle jugera par conséquent durement tous ceux qui, aujourd’hui, n’auront pas fait l’effort de saisir les opportunités de changement qui s’offrent aux uns et aux autres avec l’avènement du Compte d’affectation spéciale pour le soutien de la politique culturelle.L’article 4 du décret N° 2001/389 du 5 décembre 2001 garantit par exemple les prêts consentis par les établissements de crédit. Et cette disposition n’est pas littérature. Cela implique donc d’aménager aux entreprises culturelles un espace économique favorable pour produire et se consolider car les produits culturels contribuent à la création des emplois et des revenus. Lire la suite.